Les drames humains sont immenses. Les dépenses de santé publique aussi. La France devrait donc mettre la reprise en main de notre alimentation au cœur des priorités.
Par où commencer ? Je reprends ici plusieurs mesures de politique publique qui me paraissent prioritaires.
La loi agriculture et alimentation promulguée en octobre 2018 était censée promouvoir une alimentation plus saine pour les consommateurs et des modes de production plus respectueux de la nature. Elle devait traduire les Assises de l'alimentation en répondant aux attentes d'une société civile soucieuse de son modèle agricole et de son alimentation. Si elle a rééquilibré un petit peu le rapport de force entre les agriculteurs et la grande distribution, sur le volet agricole et alimentaire elle est passée complètement à côté de son sujet.
Pire, les quelques avancées se sont perdues post-adoption de la loi.
Le dioxyde de titane ou E171, additif alimentaire controversé qui favorise la croissance de lésions précancéreuses chez le rat, est très utilisé dans la production de desserts et crèmes glacées, de plats préparés mais aussi de cosmétiques et de médicaments. L’article 53 de la loi suspendait son utilisation. Le gouvernement s’y était engagée avant la fin de l’année 2018. Et bien non ! Bercy s’y oppose et refuse de prendre l’arrêté nécessaire « au motif qu’il n’y aurait pas de danger suffisamment « grave ou immédiat » pour activer la clause de sauvegarde au niveau européen[1]. » Il conviendrait de prendre cet arrêté dans les plus brefs délais comme le demande un collectif d’associations incluant Greenpeace et UFC-Que choisir.
Plusieurs autres mesures ont été adoptées comme les articles 32, 35, 36, 40 et 43 qui instaurent une obligation d'information du consommateur sur les lieux d'élevage des huîtres et d'affinage des fromages fermiers ou sur la provenance du vin et du miel (un tiers du miel en France est frauduleux, essentiellement du miel chinois). L'article 34 instaure une obligation d'information lors de la vente en ligne de produits alimentaires. L'article 42 vient protéger l'utilisation de la dénomination « équitable ». Tous ces articles sont issus d’amendements parlementaires qui ont été votés. Cependant, le Conseil constitutionnel les a censurés au motif procédural qu’ils ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte initial du gouvernement. Puisque tout le monde était d'accord, la moindre des choses serait de redéposer ces articles sous la forme d’une proposition de loi ou d’un projet de loi.
Avez-vous essayé de lire les informations à l’arrière de l’emballage d’un produit...? comme moi vous n'y avez rien compris ? C’est normal. Valeur énergétique des produits, teneurs en graisses, acides gras saturés, glucides, sucres, protéines et sel pour 100 g ou 100 ml de produit : ce « tableau des valeurs nutritionnelles » comportent de nombreuses informations qui ne veulent pas dire grand-chose pour le commun des mortels.
Pour faciliter la compréhension du consommateur, lors de la précédente mandature le gouvernement français a donc rassemblé une équipe pluridisciplinaire (scientifiques, experts, entreprises, consommateurs...) pour élaborer une information facilement compréhensible sur la qualité nutritionnelle globale des produits : le nutri-score. Cette étiquette présente sur la face visible des emballages alimentaires comprend 5 couleurs (du vert foncé au orange foncé), associées à des lettres allant de A (« meilleure qualité nutritionnelle ») à E (« moins bonne qualité nutritionnelle). Au moment de l’achat le consommateur peut ainsi comparer les produits et orienter ses choix vers des aliments de meilleure qualité.
Le nutri-score est un outil extrêmement puissant car un consommateur n'achètera plus un aliment de couleur orange foncé en connaissance de cause. D'autant qu'une étude menée auprès d'une large cohorte européenne parue dans « PLOS Medicine » démontre que la consommation d'aliments de mauvaise qualité nutritionnelle selon la grille de lecture nutri-score est associée à un risque accru de cancer.
L’information du consommateur est la mère des batailles et le nutri-score en est l’arme fatale. C’est la raison pour laquelle les industriels ont mené un lobbying intense d’abord contre la création du nutri-score, puis afin qu'il ne soit que facultatif. Les géants Nestlé, Coca-Cola, Unilever, Mondelez, PepsiCo ont même développé leur propre logo fantaisiste par portion, appelé « Evolved Nutrition Label », pour s’opposer au nutri-score et obtenir moins de voyants rouges (cf. comparatif sur la boite de Lu).
Lors de la loi agriculture et alimentation, l’Assemblée nationale a rejeté les amendements visant à rendre le nutri-score obligatoire sur les emballages et sur les publicité alimentaires. C’était malheureusement l’époque où les parlementaires LREM suivaient un peu rapidement les instructions du gouvernement, et en premier lieu celle du ministre Stéphane Travert, qui était soucieux de préserver les intérêts de l’industrie agroalimentaire. Pour s'opposer, le ministre avait à l’époque indiqué que le nutri-score obligatoire était contraire à la réglementation européenne. C’est faux comme l’explique la commission d’enquête mentionnée plus haut qui préconise comme de nombreuses associations et experts de le rendre obligatoire.
Une autre mesure qui a été repoussée par l’Assemblée sous commande du gouvernement est l’interdiction de la publicité alimentaire à destination des enfants de moins de 16 ans. A cet égard, je recommande d’aller lire les débats (aller à l’amendement no 2266).
Je cite l’auteure de l’amendement qui voulait interdire ce type de publicité, la députée Anne-Laure Petel : « En France, un enfant sur six est en surpoids et les enfants des familles les plus défavorisées sont quatre fois plus touchés que les autres par ce fléau. En 2016, un rapport de l’Organisation mondiale de la santé a constaté le lien entre l’obésité des enfants et la commercialisation d’aliments nocifs pour la santé et de boissons sucrées. Le même rapport affirme que « toute tentative d’agir contre l’obésité de l’enfant devrait donc tendre à réduire […] l’exposition des enfants à la commercialisation des aliments nocifs pour la santé. » »
L’OMS recommande depuis longtemps l’interdiction de la publicité pour des produits trop gras, trop sucrés, trop salés qui ciblent des enfants. La France ferait bien de l'écouter. Les enfants sont bien plus sensibles à la publicité que les adultes, moins critiques, plus influençables. C'est d'ailleurs bien là l'espoir des industriels : "accrocher" l'enfant dès son plus jeune âge pour en faire un client pour la vie. Pour cela quoi de mieux que du sucre et des publicités qui reproduisent les codes des jeunes et des enfants (bd, personnages, jeux...). Danone est allé jusqu'à inventer le snacking pour bébé (cf. photo). Certains aliments sont au moins aussi nocifs pour la santé que le tabac. Pourquoi alors autoriser leur publicité alors qu'on l'interdit pour les cigarettes ?
Si de nombreuses marques ont pris des engagements pour arrêter ce marketing ciblé, ceux-ci n’ont jamais été tenus comme presque à chaque fois que l’industrie agroalimentaire prend des engagements [2].
Le gouvernement s'était opposé à cet amendement au motif que cela déséquilibrerait le secteur audiovisuel qui est financé par les publicités. Pourtant le manque a gagné devrait être largement relativisé avec ne serait-ce que le coût social de la seule surcharge pondérale en France qui est estimé à 20 milliards d’euros par an.
C’est la raison pour laquelle il faut maintenant avoir le courage d’agir.
Espérons que le Grand Débat sera l’occasion de reprendre la main sur notre alimentation.
[1] Un État membre ne peut pas interdire l’utilisation de certains additifs sur son territoire sauf à prendre des mesures de sauvegarde telles que précisées aux articles 53 et 54 du règlement « LAG » n° 178/2002, c’est-à-dire affirmer qu’un risque pour la santé serait avéré. Par exemple, le diméthoate utilisé sur les cerises a été interdit grâce à cette procédure. En l’espèce, la France qui souhaite recourir à une telle interdiction doit pouvoir justifier devant la Commission européenne le bien-fondé scientifique de cette interdiction. En l’espèce, des études scientifiques comme celle menée depuis quatre ans par l'Inra et publiée dans la revue Scientific Reports pourraient justifier la clause de sauvegarde. La France doit activer cette clause et mettre la Commission européenne face à ses responsabilités en cas de refus.
[2] Il est intéressant de citer le cas de la filière de la boulangerie qui en 2002 s’était engagée à réduire le taux de sel dans le pain : passant de 24 grammes de sel par kilogramme de farine (g/kg farine) à 18 g/kg farine en 5 ans. L’objectif n’a jamais été atteint au point qu’un nouvel engagement a été pris en 2015 pour 19 g/kg farine. Même résultat : en 2017 seuls 30 % des boulangers respectent ce taux.
par Emile Meunier, European Startup Prize's Managing Director