Le 15 novembre 2017, la Ministre du Travail transmettait aux partenaires sociaux le document d’orientation de la réforme de la formation professionnelle. La commande était sans ambiguïté : « Donner à chacun la liberté de choisir et la capacité de construire son parcours professionnel, pour créer ou saisir les différentes opportunités professionnelles qui se présentent ». Cf. document d’orientation
Le 5 mars 2018, la Ministre du Travail présentait lors d’une conférence de presse son « Big bang ». Et la libéralisation de la formation est au RDV comme en témoignent les annonces relatives au Compte Personnel de Formation (CPF).
Ajoutons que pour accompagner cette libéralisation du CPF, une application mobile est annoncée. Elle devrait permettre à chaque actif de connaître ses droits, de consulter en toute « transparence » les formations proposées (taux d’insertion, commentaires des participants…) et de choisir sa formation en toute autonomie.
Libéraliser, ce simple verbe traduit à lui seul l’enjeu de cette réforme ; donner plus de liberté à l’actif.
Les responsables formation ont pris l’habitude de jouer à l’équilibriste, partagés à chaque réforme entre la nécessaire adaptation au nouvel environnement légal et la réponse aux enjeux de l’entreprise. Ils vont désormais devoir faire cohabiter ces enjeux, les obligations de l’employeur (Article L6321-1) et la liberté qui s’offrira désormais à chaque actif. Qu’adviendra-t-il demain quand, d’un côté, un employeur n’aura pas veillé au maintien de la capacité d’un salarié à occuper un emploi (Article L6321-1) et que, de l’autre, ce même salarié n’aura pas utilisé ses droits si facilement mobilisables ?
Un bref détour historique sur la fonction formation nous permettra d’apprécier les évolutions, pour ne pas dire les transformations, à l’œuvre, et les limites de la libéralisation.
Comme le rappelait Mathilde Bourdat dans un billet du 12 juin 2017, la fonction formation a eu jusqu’à ce jour pour cœur de métier l’élaboration du plan de formation, l’organisation des actions de formation, sans oublier le pilotage et l’optimisation du budget à travers la recherche de financements.
Il est frappant de voir à quel point le cœur de métier de la fonction formation a toujours été marqué par des facteurs exogènes à l’entreprise ; ceux de notre système de formation.
Soulignons, à titre d’exemple, le calendrier du plan de formation qui a été en grande partie guidé par les obligations de l’entreprise en matière de dialogue social et de déclaration fiscale (déclaration 2483).
Rappelons aussi que l’organisation des actions de formation a toujours été imprégnée par la définition légale de l’action de formation, ce qui a eu pendant longtemps pour conséquence une surreprésentation du « stage » dans les plans de formation…
Dit autrement, la fonction formation se résumait essentiellement à ses aspects administratifs, juridiques et financiers. Pour autant, nous assistons depuis quelques années à une transformation de la fonction formation
Les objectifs assignés à la fonction formation ne cessent de se multiplier ce qui n’est pas sans incidence sur le rôle du Responsable Formation. Nous avons identifié 3 axes de transformation majeurs.
Il est demandé à la fonction formation d’améliorer les processus en vigueur pour gagner en efficacité, mais aussi en synchronicité par rapport aux rythmes de l’opérationnel.
Il est demandé à la fonction formation de :
L’évolution des logiciels auteurs, pour produire du contenu, conjuguée à l’envol des LMS (Learning Management System), pour diffuser le contenu, ont fortement participé du développement des ressources pédagogiques mises à disposition. Là aussi, la posture du Responsable formation évolue. Il incarnait la figure du logisticien, celui qui organise les formations, il devient un facilitateur.
Le rôle de l’apprenant se transforme aussi : il doit analyser ses besoins et choisir ses solutions d’apprentissage. Et nombre d’entreprises ont rapidement identifié les limites de la « libéralisation » de la formation. Tous les salariés ne sont pas autonomes pour construire leur projet d’apprentissage et le mener à bien.
Il ne s’agit pas uniquement de mettre le plan de formation au service de la stratégie d’entreprise mais d’accompagner les bouleversements technologiques, organisationnels et sociologiques à l’œuvre.
Alors que la fonction formation avait pour habitude de contribuer en priorité au développement des compétences « métier », elle doit désormais:
Compte tenu des enjeux, la fonction formation se transforme jusque dans son identité. Le Responsable formation cède parfois la place au Learning Manager voire au Digital Learning Manager. Mais les finalités ne changent pas : contribuer à la performance de l’entreprise, accompagner la trajectoire professionnelle des salariés et veiller au maintien de leur « employabilité ».
Compte tenu de ce qui a été évoqué précédemment, nous avons identifié deux risques principaux :
Attardons-nous un instant sur le terme d’employabilité. Franck Rouaud, Christian Drugmand et Lise Mattio (« Employabilité et flexsécurité, 100 questions pour comprendre et agir », Afnor Editions, 2008) nous en proposent la définition suivante (p.4) :
« L’employabilité, c’est le processus de développement et d’actualisation continu des compétences, connaissances et attitudes d’une personne lui permettant d’avoir un emploi ou d’être dans une dynamique de recherche ou d’évolution d’emploi, dans les meilleures conditions possibles, pour elle-même, pour son ou ses employeurs et pour la collectivité en général. »
Autrement dit, l’employabilité repose sur 2 principes majeurs :
Le risque est que le projet de formation de l’individu s’élabore en dehors de l’écosystème qui lui permet de transformer ses acquis en compétences, en les mettant en situation dans le travail réel. Il y a une possibilité que le CPF monétarisé soit mobilisé « pour le plaisir » (les langues pour voyager) ou pour un projet professionnel encore lointain. Liberté de choix, qui peut être difficile à gérer pour certains.
L’histoire récente du CPF, et avant lui du DIF, montre qu’il a bien fonctionné dans les entreprises qui s’investissent dans l’information et le dialogue avec les collaborateurs, dans une perspective de co-investissement. La monétarisation du CPF ne met pas fin à cette possibilité, elle sera simplement plus difficile à mettre en œuvre : abonder en euros, ce n’est pas pareil qu’abonder en heures un CPF bien refinancé …
L’entretien professionnel devra être repensé, l’articulation co-investissement/ perspectives professionnelles aussi.
Annette Chazoule, dans son billet sur la compétence de 2018 met en évidence la nécessité de développer le travail en mode collaboratif. Ce serait même la compétence de l’année car il permet d’abord de favoriser le sentiment d’appartenance à l’entreprise, malgré la flexibilisation des organisations, et de recréer un lien de confiance, si précieux alors que les entreprises n’offrent plus la sécurité de l’emploi. Bref, les pratiques collaboratives favorisent l’engagement et sont sources de motivation.
Les responsables formation ont perçu depuis plusieurs années les limites de la formation individuelle. Ils nous sollicitent d’ailleurs pour proposer de nouveaux formats (workshop…) qui permettent de répondre à ce double enjeu : développer les compétences de chacun et favoriser l’engagement de tous.
De ce point de vue, nous pouvons nous demander si le CPF nouvelle version n’est pas déjà à contretemps, au risque de favoriser l’indépendance ou l’isolement plus que l’autonomie des actifs.
Pour conclure, je vais cesser de me perdre en conjectures car je n’oublie pas qu’il y a toujours un décalage entre l’évolution du système et l’évolution des pratiques. Mais en tant que professionnel, nous devons définir ce que nous voulons préserver dans nos politiques de développement des compétences, et ce que nous voulons améliorer. Et définir de nouvelles stratégies, dans cet environnement bouleversé.
Pour prendre connaissance des mesures portées par la Réforme de la formation professionnelle en cours, et échanger sur ses impacts, nous vous invitons à nous rejoindre sur le stage Actualité du droit de la formation- spécial Réforme.
Par Jean-Christophe Maumelat